vendredi 30 mai 2008

SAINTE-FLORINE

LES DAMES BLANCHES DE SAINTE-FLORINE


Il y avait autrefois à Sainte-Florine, un couvent de religieuses de l'ordre de Fontevrault .
On sait que Robert d'Arbrissel , fondateur de cet Ordre, né en 1047, dans une bourgade de Bretagne, aux environs de Rennes, devait se distinguer par le nombre et la qualité de ses prédications à travers la France. Il fit aussi beaucoup parler de lui par sa hardiesse de novateur en matière de mortification. Il passait des nuits, dit-on entre deux jeunes religieuses sans que sa vertu en fut le moins du monde incommodée ! Cette imprudence lui attira, il est vrai, des reproches de ses amis, de l'abbé de Vendôme et de l'évêque de Rennes en particulier, mais les esprits sages se tenaient à ce sujet dans un doute prudent, par cette considération que ce qui est caché n'apparaîtra qu'au jugement dernier ! Chose curieuse : aucun Pape ne l'a canonisé, sans doute pour ne pas accréditer dans l'esprit du public ce genre de martyre... !
Lorsqu'il évangélisa l'Auvergne, peu de temps avant sa mort, au début du XIIe siècle, les seigneurs de ce pays, enflammés de charité, et sans doute de repentir, sous l'effet de sa parole ardente, l'aidèrent de leurs biens dans la fondation de ses couvents, notamment à Esteil, Beaulieu et Sainte-Florine.
C'est en 1265, la veille de Saint-Mathieu, un samedi, que noble Sybille religieuse de Fontevrault, fille de Robert, comte d'Auvergne, fit don à son Ordre, de l'église de Sainte-Florine , près de laquelle un couvent s'éleva et s'y tint jusqu'au moment de la Révolution. L'église est bien demeurée à l'usage des fidèles, mais les bâtiments claustraux ont été transformés en habitations particulières.
On est peu renseigné et seulement par les articles de Denys Tixidre, sur l'histoire de ce prieuré et des religieuses qui y passèrent. Les parchemins qu'il en reste, à l'église de Brioude, et que j'ai consultés, ne sont pas nombreux. Beaucoup d'autres, sans doute, se sont perdus. Peut-être aussi, plaisait-il à ces dames, par condescendance à l'esprit du fondateur, de rester inconnues ! Jusqu'au XVIIe siècle, c'est par le truchement d'un procureur, généralement le prieur, que de préférence elles agissaient par devant notaire ou en cour de parlement. Il serait trop long de donner les noms des prieures connues.
Elles avaient droit de présentation à la cure de Sainte-Florine; c'est la prieure qui choisissait, nommait et rétribuait le curé de l'endroit, mais c'était l'Evêque de Clermont , et, après 1317, celui de Saint-Flour, qui donnait aux prêtres dont elle faisait choix, pouvoir de juridiction sur toute la paroisse. On connaît quelques-uns de ces prêtres sortis des environs de la filiale masculine de l'Ordre de Fontevrault, qui dirigèrent, à Sainte-Florine, la paroisse et le couvent : Robert, en 1112, Jean Vaysse en 1324, Etienne Rochanolp en 1383, Jean Astaneyre en 1408, Guillaume Soulage en 1430, Jean de Mons, cité en 1458, Jacques de Langeac, dignitaire de la Sainte-Eglise en 1477, Jean Bergoing qui prit possession de la cure le 11 octobre 1563, en remplacement de Bertrand Chabon, Pierre Feige qui succéda, en 1566, à Jean Bergoing, tombé dans le sein d'Abraham, Annet Sadorny, nommé le 4 mai 1598, Martin Louland, curé de Sainte-Florine en 1612, Pierre Brugier en 1640, Pierre Barreyre, nommé en 1648, qui démissionna, en 1678, au profit de Noël Barreyre, son neveu, lui-même mort le 9 mars 1720, après 42 ans passés à la tête de la paroisse, et remplacé par Antoine Boyer, jusqu'en 1745, Jean-André Benoït du diocèse du Puy, d'abord curé de Charbonnier puis de Sainte-Florine, jusqu'en 1773, mort à 80 ans, en 1787, Jean Dessauses, originaire de Paulhaguet, d'abord vicaire puis curé de Sainte-Florine, que la Révolution y trouva. Auvergnat habile, il passa cette période troublée sans trop en souffrir...
Au Moyen-Age, en ce temps de foi vive, quand un couvent s'implantait dans une localité, il draînait vers lui, avec une facilité étonnante, une si grande quantité de ces biens méprisables dont le monde entrave notre marche, qu'il devenait, en peu de temps, le plus riche, le plus puissant propriétaire de la région. Ce fut le cas, naturellement à Sainte-Florine, où ces dames, issues de bonne noblesse, avaient le goût inné des situations confortables et où elles y trouvèrent des coeurs généreux, l'Eternel en ayant semé un peu partout, parmi les bourgeois de leur connaissance, la famille de Guillaume de la Roche, en particulier. Au trésor des gros s'ajoutait l'obole du pauvre ! Car il est juste, opinait la prieure, que les riches offrent un grand présent, et que les pauvres en donnent un moindre ! Jean Bresson, un florinois petit de taille et de fortune, permit , un jour, aux religieuses, de lever chaque année un droît de dîme sur les propriétés qu'il avait au lieu de Solinhac, en la paroisse de Brassac et Laurence Bresson, sa nièce, s'obligea, en 1324, à honorer ce legs ! Tant de motifs d'ordre religieux provoquaient ces libéralités ! Elles étaient parfois un témoignage de reconnaissance envers un couvent bienfaisant. C'est dans cet esprit qu'en 1393, Bernard Roland, de Sainte-Florine, fit donation au couvent d'un carton de froment à prendre chaque année, sur un champ situé au terroir de Roussille ; c'est qu'il avait bénéficié, amplement, disait-on, de la bonté des religieuses ! Quelques années plus tard, en 1399, Géraud Dantonil, noble damoiseau, mû par un égal sentiment de reconnaissance envers Marguerite Dégue, l'une des religieuses, lui fait don de cinq cartarenches de grain et décide que, la religieuse morte, le couvent continuera à bénéficier de cette oeuvre pie !
Certains jours, les âmes des religieuses défuntes pouvaient sortir illico du purgatoire et entrer dans l'éternité du paradis, par suite d'une indulgence spéciale accordée par le Pape Urbain VIII, en 1554 !
Quand les gens de Sainte-Florine ou d'ailleurs avaient besoin d'argent, c'est à la porte du couvent qu'ils venaient frapper. On leur en prêtait. Ils devaient le rembourser, cela va de soi, de préférence en nature et sous forme de rente annuelle. Des exemples ? Il n'en manque pas ! Jean Vital en 1298, Pierre Besseyre en 1391, André Vigier, Jean Adam, en 1458, d'autres encore ...
Il y avait aussi qui tombait dans l'escarcelle du couvent le revenu des droits féodaux, mais, contrairement à ce que l'on croit généralement ce revenu était loin de faire une fortune. Jean Jouve, fils de Laurent, meunier de son état au moulin Dalbine, en la paroisse de Vezezoux, reconnaît devoir aux religieuses, le 15 mai 1408, deux setiers de froment pour droit de censive. Même témoignage de vassalité, le 13 mars 1412, de la part de Pierre Reynaud, curé de Brassac. Mais que de soucis, que de difficultés entraînait pour les religieuses la perception de ces droits et de quelques autres ! Jeanne du Bourg, prieure de Sainte-Florine en savait quelque chose ! De ces récalcitrants, il s'en trouvait jusque chez les parents des religieuses ! Quand une jeune fille était remisée par ses parents au couvent de Sainte-Florine, elle y apportait, dans son menu linge, quelques souvenirs de famille, un peu d'argent, et la promesse d'une dot sous forme de pension viagère. Venait-elle à s'accrocher trop longtemps aux délices de cette vallée de larmes, alors ses neveux payaient mal et même pas du tout ! La prieure, que Dieu lui pardonne, se fâchait tout rouge ! Cela lui arriva plus d'une fois, en particulier le 10 juin 1633, date à laquelle la prieure, Jeanne de Palaruc, se vit obliger d'actionner en justice les enfants de Clauda de Rochefort : François, Jacques et Jean de Tiraulles, pour en tirer la somme de 1210 livres, arrérages de la pension monacale de Marguerite de Tiraulles, trépassés depuis longtemps de ce monde dans l'autre.
Comment se passait la cérémonie de réception dans la religion de ces dames, Yves Besnard nous le conte dans ses « Souvenirs d'un nonagénaire ». C'est aux pieds de l'abbesse magnifiquement assise sur un trône magnifique, que religieux ou religieuses prononçaient, dans l 'attitude du plus grand respect, leurs voeux. Un jour qu'il assistait à cette cérémonie, il entendit l'abbesse posait cette question au récipiendaire : « Mon frère, que demandez-vous ? » A quoi il répondit : « Du pain, de l'eau et l'honneur de vous servir. » Sur cette déclaration, l'abbesse allongea la jambe, et, comme le récipiendaire lui baisait la mule, elle ajouta, baissant la voix : « Et renoncez à ce que vous voyez ! »
Le couvent de Sainte-Florine était, au XVIIe siècle un modèle de régularité et de piété. Il était prospère et bien pourvu de novices. C'est de Sainte-Florine que sortirent les fondatrices de trois autres prieurés de l'ordre de Fontevrault : Saint-Joseph de Brioude, le couvent de Nonette et celui de Lamothe.
Quand la maison de Brioude fut prête, l'abbesse de Fontevrault vint en personne pour prendre possession de son nouveau couvent, en 1639. C'était Jeanne-Baptiste de Bourbon , fille légitimée du roi Henri IV et de Charlotte des Essarts. Il courait sur son compte l'anecdote que voici : Ayant eu à soutenir plusieurs procès devant le Grand Conseil contre les prétentions dominatrices des religieux de son ordre, et fort déçue, un jour, d'en avoir perdu un , elle exhala son dépit à la face du président Molé : « Savez-vous bien lui dit-elle, que je suis du sang de France ? » - « Eh, oui ! Madame, réplique Molé, je sais que vous en êtes, et du plus chaud ! »
Si Marguerite et Françoise Bon, filles du seigneur de Ribeyre, se fixèrent à Brioude, les dames de Brossage, de Guillemont et Ducrobos, quittèrent à leur tour Sainte-Florine, pour se rendre à Nonette, le 6 octobre 1658. Quelques années plus tard, en 1688, quatre autres religieuses partirent de Sainte-Florine pour se rendre à Lamothe. C'étaient Mesdames de Baylle, de Salles, de Touches, et soeur Jeanne, originaire de Lamothe.
Ainsi, pendant des siècles, vécurent à Sainte-Florine, dans la prière, le travail, le sacrifice et le silence, des âmes d'élite. Il convenait de saluer leur mémoire.

N. DURSAPT

ARTICLE PARU DANS :

L'Almanach RENOUVEAU 1965

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